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dimanche 20 septembre 2009

Tunisie : Les call centers seraient-ils « les négriers des temps modernes » ?


Avec près de 216 centres d’appels (juillet 2009) implantés dans les grandes villes de Tunisie, plus de 17 600 emplois générés au profit des jeunes diplômés, les call centers font figure de « manne du ciel » pour juguler un tant soit peu le chômage dont les taux avoisinent les 14% en général et les 20% pour les diplômés du supérieur.

Les pouvoirs publics qui ont entrepris de multiplier les actions de lutte contre le chômage, se sont engagés, dès 2001, à accorder la priorité aux secteurs à forte employabilité comme les TIC et l’implantation de call centers, qui bénéficieront depuis, d’un train de mesures et d’incitations, sur le plan fiscal, réglementaire, et technologique, dans le sillage duquel s’installeront plusieurs sociétés étrangères spécialisées dans l’outsourcing, les services d’assistance ou le télémarketing.


Le faible coût de la main-d'œuvre, le haut niveau de qualification des ressources humaines, la proximité culturelle et géographique encourageront notamment les multinationales françaises, italiennes et allemandes, à franchir le pas et à délocaliser. Ces services à la clientèle, implantés en Tunisie, touchent des domaines aussi variés que l’informatique, les télécommunications, le tourisme, les transports, les loisirs, la vente et la distribution à distance, les services financiers et bancaires ou les assurances.

Les centres d’appel bénéficient en outre d’une exonération sur dix ans de toute imposition fiscale sur les bénéfices. Elles ne paient pas de droits de douane à l’importation de leurs équipements, ni la TVA locale pour les acquisitions en matériel. L’Etat assure par ailleurs la prise en charge de 50% du salaire pendant 2 années, pour le recrutement d’un jeune diplômé, dans le cadre des contrats SIVP avec 50% d'exonération de la charge patronale au niveau des taxes revenant à la Sécurité sociale. À titre d’exemple, les aides publiques peuvent atteindre les 250 dt pour un salaire de 400 dt, le must du must, étant la prise en charge par l’Etat des coûts de formation, pour les perfectionnements en langue étrangère au profit des employés des centres d’appel, et ce, dans le cadre des programmes d'insertion professionnelle.

Des avantages, des privilèges accordés par la collectivité nationale, qui favorisent certes l’emploi, mais qu’il est également temps d’évaluer, d’autant que certains centres d’appel restent peu regardants quant aux droits des salariés et pratiquent même, pour certains d’entre eux un esclavage moderne, en bafouant les droits les plus élémentaires des employés.

Des salariés qui travaillent plus de 48h, en cumulant les weekends et les jours fériés, suspendus au combiné de leur téléphone pour les besoins de prestations destinées à des clients, souvent agressifs, ou en situation de désarroi. Ces salariés sont rarement à l’abri de surprises, liées le plus souvent aux salaires qui sont bien en deçà de ceux promis à l’embauche, des primes promises, mais non perçues, des pauses écourtées, voire inexistantes, de mal de dos, des maux de tête, le tout dans un cadre de stress permanent, bref, des emplois précaires et des conditions que d’aucuns ne se gardent pas de comparer à celles d’un « négrier des temps modernes ».

Le pire demeure cependant l’exploitation sans rétribution, par certains gérants de centres d’appel, de jeunes diplômés, sans emploi et en situation précaire. Ces cas ne sont pas la règle pour ce secteur, mais existent. Suite à une enquête qu’avons menée, nous avons été interpellés par le cas d’un gérant de call center de nationalité française, qui a ouvert, sur des périodes successives, trois centres d’appels avec différentes appellations, créant toutes les fois une nouvelle immatriculation au registre du commerce, pour une nouvelle société. Il avait l’habitude d’utiliser un stratagème rodé, attirant dans ses mailles, de jeunes diplômés alléchés par les perspectives d’un salaire « mirobolant, supérieur aux salaires proposés sur le marché ». Ce gérant annonce aux nouvelles recrues qu’une formation de 2 ou 3 mois leur sera dispensée, suivie d’une période d’essai d’une durée équivalente au terme de laquelle une titularisation est promise. Les mois s’écoulent, 3 à 6 mois, selon les cas, pendant lesquels les jeunes diplômés enchaînent les appels, les cadences de travail dans l’expectative d’une rémunération qui se fait attendre. Pendant ce temps, ce gérant omet sciemment de déclarer ses employés à la CNSS, pour un beau jour disparaitre, en vidant les lieux auparavant, et en laissant sur le carreau des dizaines de jeunes, ahuris et sans le sou.

Ce cas réel et vécu, est symptomatique d’une frange de gérants de call center non respectueux de la réglementation en vigueur , faisant peu cas du droit du travail et échappant à la surveillance des autorités compétentes. Ces personnes , le coup fait ,repassent hors des frontières, profitant de la situation de jeunes diplômés n’ayant que peu de moyens de recours, peu au fait de leurs droits et peu motivés pour ester en justice afin de défendre leurs cas. Cette situation ne doit cependant pas être généralisée puisque plusieurs call centers assurent des conditions correctes à leurs employés, leur versant leurs primes et leur dû, permettant à ces derniers d’évoluer verticalement et assez rapidement dans leur plan de carrière. Il faut savoir qu’il existe une chambre syndicale relevant de l’UTICA pour les call center, cette chambre qui regroupe 10% des entreprises opérant dans le secteur et qui impose à ses membres une charte d’éthique respectueuse des droits des travailleurs, une initiative qui malheureusement ne touche que le 1/10 des opérateurs établis en Tunisie et qui devrait être généralisée à tous les opérateurs du secteur, tout en s’assurant de sa stricte application.

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